Comment peut-on être parisien?
Touriste? Flâneur? Ethnologue apprenti? Qu’est-ce qu’un étudiant américain à Educo ? Etrangers transportés sur le tapis magique des lignes aériennes des campus universitaires de Cornell, Duke, Emory et Tulane, que leur aurait fait dire le voyageur cosmopolite de Montesquieu, Rica, dans les lettres, journaux, mails qu’ ils auraient pu découvrir sur les clés USB de leur appareils de communication électroniques? Telles étaient les questions que je me posais, durant les derniers jours de mon mandat comme présidente d’Educo à Paris, alors que je repassais, pour les dernières fois cette année, sur les arcades du Pont Neuf. Après avoir vu défiler mes boutiques préférées de la rue Dauphine et avant de croiser, majestueuse, sur la pointe de l’Ile de la Cité, la statue cavalière de Henri IV, j’aperçois du coin de l’œil, la silhouette fantomale d’Owen Wilson en surimpression sur l’affiche à la Van Gogh du dernier film de Woody Allen, « Minuit à Paris ». Entre le voyage dans le temps du metteur en scène francophile, « Midnight in Paris » à la « Moveable Feast » d’Ernest Hemingway, comment imaginer les journaux de voyage qu’avaient produit nos étudiants américains originaires de tous pays à Paris ! Et le mien? Avais-je assez insisté sur les textes de Villon, La Bruyère, Baudelaire, Hugo, Proust, Beauvoir et Barthes? Quelles images, et réflexions remporteront nos étudiants de l’autre côté de l’Atlantique ? Quel musée de souvenirs sera le leur une fois une fois repartis sur la route de leur futur?
Oui ! J’avais bien tenté de dépasser, dans mon cours «Paris: Vivre la ville », les instantanés faits pour la consommation fugitive des voyageurs de guides touristiques. Oui ! Nous avions utilisé aussi la machine à remonter le temps et même dépassé le seuil de la déambulation légère et obligée du touriste pour saisir la complexité de la distance et de la concordance multiculturelle des temps que nous enjambions à grande allure, à travers les siècles. Oui ! Nous avions découvert l’Autre et les autres dans l’espace et le temps de nos ballades ethnologiques. Surgit alors à mon esprit, comme pour me réconforter, cette photographie saisissante collée dans le journal d’une de mes étudiantes de Duke: un pont de Paris avec cette affiche ficelée à la hâte: « Vive la grève! » sur fond d’une Seine coulant tranquille, témoin confiant devant les remous de l’histoire. Ce cliché pris en hâte alors qu’elle se pressait pour rejoindre le groupe du séminaire qui avait lieu une fois par semaine à l’Institut Charles V. En route pour la salle de classe où nous nous retrouvions dans un hôtel particulier du Marais, cette image avait suscité chez la jeune photographe un petit essai poétique où se rencontraient l’expérience de la flânerie sur les grands boulevards et les soubresauts de la foule de la rue débattant de ses droits à la protection sociale pour tous. Ces manifestations avaient aussi inspiré à une autre étudiante de Tulane un « blason », célébrant le charme mystérieux de Paris. Transformation poétique et fine du mythe « Paris est une femme », ses strophes lyriques et personnelles captivaient bien toute la riche complexité de cette ville de contrastes: des Folies Bergères de Joséphine Baker à celle du ‘slam’ acrobatique des gavroches modernes multi-ethniques du XXIème siècle.
Les voyages forment la jeunesse! Et au-delà… Ils continuent à former ma vie. J’avais vécu à Paris comme étudiante, j’avais enseigné dans diverses régions des Etats Unis d’est en ouest et finalement aux marges du Paris académique traditionnel, dans une des nouvelles branches de l’intelligentsia avant-garde post années 60, Paris VIII, Paris Vincennes-Saint-Denis. Le Centre Educo a été une autre étape décisive dans ma compréhension de cette ville toujours nouvelle. Au semestre de printemps, nous avons fait une autre tournée, théâtrale, cette fois, des scènes parisiennes. Au gré des différents spectacles parisiens et de banlieues et des lectures et performances en classe nous avons réfléchi sur la représentation et la performance à travers les âges. Nous avons, en fin d’année, grâce à une étudiante spécialiste de théâtre d’Emory, pu organiser un « Festival off» à Educo pour le groupe et toute l‘équipe. Travail de groupe qui leur aura donné, peut être, un peu de ce que Rousseau appelait le vrai «théâtre républicain». Celui qu’on fait tous les jours avec le « vivre ensemble » à Paris et ailleurs. Nous avons peut-être pu alors répondre à la question imaginaire du Rica de Montesquieu: « Comment peut-on être parisien? » Accepter tout simplement d’être citoyen de deux mondes ou plutôt citoyen du monde.
Merci à toute l ‘équipe d’Educo et à tous mes étudiants de l’année 2010-2011.
Marie-Claire Vallois
Présidente d’Educo, 2010-2011