Lorsque je suis arrivée en France j’ai posé ma candidature et je me suis inscrite peu après pour faire du bénévolat avec l’Association les P’tits Cracks à l’Hôpital Trousseau. L’Association les P’tits Cracks est une organisation qui soutient les enfants atteints de cancer en leur fournissant des ressources pour améliorer leur hospitalisation. Dès ma première semaine, mon expérience à l’hôpital est devenue une des plus belles, quoique parfois cela soit aussi bouleversant, même surprenant. Il est impossible de participer à ce genre de bénévolat sans se rendre compte de la tristesse de la situation des enfants ; pourtant, les enfants ne cessent jamais d’être consistants dans leur capacité frappante d’être sages et joyeux au milieu de la gravité. Puisque je commence à écrire cet article la veille de mon dernier jour à l’hôpital, mes pensées dérivent vers tous les enfants qui m’ont inspirée tout au long de ce semestre et je voulais partager avec vous quelques anecdotes de mon temps passé avec eux à l’Hôpital Trousseau.
(Avertissement : j’ai changé les prénoms de tous les enfants pour les protéger)
Le Champion de la Mémoire
Le jeu le plus apprécié parmi les enfants de 3 à 6 ans est Mémoire ; le petit Frédéric ne fait pas exception. Il est même particulièrement doué à ce jeu, même pour ses 3 ou 4 ans. Pendant notre première rencontre, les deux clowns chanteurs, qui viennent de temps en temps chanter ou jouer des petits sketchs pour faire rire les enfants, nous ont interrompus. Tandis que Frédéric était en train de me vaincre à Mémoire, eux et moi ont commencé à encourager sa victoire. A chaque bonne carte retournée, on criait :
« Oh là là tu es trop fort, Frédéric, ce n’est pas possible ! Tu es le champion ! »
Son sourire brillait. Alors même qu’il continuait à m’écraser, son sourire est vite devenu contagieux. Trois séries plus tard, Frédéric restait le champion, sa fierté n’avait pas diminué et sa joie l’avait fait sauter de sa chaise. Dans une vie bouleversée, son talent à gagner à Mémoire a redonné de l’espoir au petit Frédéric.
Le Réfugié
Lors de ma troisième semaine à l’hôpital, la chef des bénévoles m’a conduite avec insistance vers le « secteur privé » (la zone de quarantaine), que je n’avais jamais vu, tout en parlant dans son français rapide. Arrivée depuis un mois à peine, je devais m’accrocher pour la comprendre : il fallait que je rencontre quelqu’un de particulier ce jour-là, quelqu’un qui ne parlait pas français, mais anglais. Après avoir enfilé les vêtements de protection et s’être lavé les mains, on est entré dans une chambre où il n’y avait rien d’autre qu’un ordinateur et un garçon, on l’appellera Jacques, souriant sur le lit.
La chef m’a laissée avec ce garçon souriant et on a commencé à bavarder de toutes sortes de choses : quelles musiques on aime, quels sports on suit. Son sourire continuait à illuminer la chambre vide. En cherchant de nouveaux sujets de conversation, je lui ai parlé de sa famille. Il m’a raconté comment il a grandi dans un village de montagne en Afghanistan avec ses 6 frères et sœurs, que son père est mort il y a un an et que depuis les extrémistes essayaient de le recruter si bien qu’il s’est senti obligé de fuir. Jacques a alors traversé à pied au moins huit pays en trois mois, en apprenant l’anglais sur la route, tout cela pour avoir ses papiers d’identité volés et se voir diagnostiqué avec une leucémie dès son arrivée. Cela faisait des semaines qu’il ne pouvait plus contacter sa famille ; aussi se trouvait-il tout seul à 15 ans dans un lit d’hôpital et dans un nouveau pays dont il ne parlait pas la langue. Quant à moi, j’ai pensé à ma sœur qui venait d’avoir 16 ans.
Malgré la gravité de son histoire, il l’a racontée tout en souriant avec une franchise qui disait à quel point ces circonstances lui étaient non seulement banales, mais une raison de garder espoir plutôt que de le perdre. Ce discours-là nous a naturellement amenés vers la politique, où il a insisté, avec une urgence surprenante par rapport à son calme précédent, que les gens qui ont essayé de le recruter « ne sont pas des vrais Musulmans. » Son sourire a diminué pour la première fois. Je lui ai assuré que j’en étais bien consciente, mais en le faisant, je me suis rendu compte que sa crainte de la discrimination religieuse dans le pays pour lequel il avait déjà tellement sacrifié était plus grande encore que celle de la menace de sa leucémie. Cependant, on est passé à autre chose peu après :
« Dis-moi, qu’est-ce que tu voudrais faire à ta sortie de l’hôpital ? »
« Voir la Tour Eiffel ! » Son sourire est réapparu.
Le soir, j’ai pleuré pour toutes les ironies et les tristesses de sa situation impensable. Cependant, il avait tellement d’espoir pour sa vie en France hors de l’Hôpital que je me suis consolée : s’il pouvait avoir de l’espoir, moi aussi, je pourrais l’avoir.
La mélomane
Patricia et moi nous sommes bien entendues dès notre rencontre pendant laquelle on a joué au UNO avec son mignon camarade de chambre qui avait 3 ans, c’est-à-dire douze ans de moins qu’elle. Son énergie était si grande que je ne me suis même pas rendu compte au départ qu’elle était aussi une patiente, je croyais qu’elle était la sœur aînée du petit. Quand il est devenu fatigué, on s’est déplacées dans le salon pour les grands enfants, où on a continué à bavarder devant l’ordinateur. Avec l’air d’avoir déjà une idée précise en tête, elle m’a demandé quel était mon groupe de musique préféré. J’en ai nommé quelques-uns et elle a même eu la patience de regarder quelques vidéos sans avoir l’air d’en reconnaître une seule. Suite à ces échecs, je lui ai retourné la question.
Avec une grande anticipation elle m’a répondu : « est-ce que tu connais One Direction ? »
En pensant à ma sœur qui leur voue une passion secrète, et à mon amie qui leur voue une passion pas aussi secrète, j’ai avoué « bah oui, je les connais un peu. »
On a laissé tomber ce « un peu », évidemment sans importance pour elle, pour parler de notre préféré dans le groupe.
« Je pense que moi je dirais Louis. » , et elle s’est exclamé : « mais, MOI AUSSI !! »
Tout était concrétisé à partir de ce moment-là : on serait amies. Il va sans dire que l’on a passé plusieurs heures devant l’ordinateur à regarder des clips pendant quelques semaines. Elle n’a pas compris pourquoi je voulais venir à l’hôpital alors que je n’étais pas malade, mais elle a quand même apprécié d’avoir la traduction des chansons qu’elle avait aimé sans les comprendre, tandis que j’ai apprécié le rappel du pouvoir qu’a la musique d’unifier les gens et d’apporter espoir et joie.
Le Batailleur
Je suis arrivée dans la chambre d’Alexandre, 8 ans, pour la première fois avec un jeu de cartes. Quand je lui ai demandé à quel jeu il voulait jouer, il m’a répondu sans hésitation la Bataille. Donc, la Bataille a commencé tout de suite après avoir fini les mondanités de battre les cartes. Malgré sa personnalité autrement calme il a adoré ce jeu et, comme tous les enfants là-bas, il en était maître. Chaque fois qu’il remarquait que son tas était plus grand que le mien, il exigeait qu’on les compare. Verdict : il était le vainqueur tranquille ; et moi, la vaincue épuisée.
« Tu es vraiment trop fort pour moi, Alexandre ». Et comme ça, la bataille recommençait.
Lors d’une autre séance, on s’est préparé encore une fois à jouer à la Bataille, mais quand sa cousine nous a rejoints, on est passé au UNO. Malgré leurs chamailleries, j’ai vu qu’ils étaient contents de se revoir, surtout Alexandre. On était interrompu seulement par les autres membres de sa famille qui venaient essayer de faire manger Alexandre, mais il ne pouvait plus supporter le goût, ce que j’ai attribué à son lourd traitement. Néanmoins, son goût pour la bataille dans les jeux n’a jamais diminué et il se trouvait encore le vainqueur jubilant plusieurs fois.
A la fin de l’après-midi, le chef m’a expliqué qu’Alexandre ne survivrait pas ; toute sa famille arrivait pour décider s’ils le ramèneraient chez lui au Sénégal, ce qui était son seul souhait. Plus tard alors que je versais quelques larmes, il m’a traversé l’esprit que le petit avait déjà fait la paix avec cette bataille perdue, même si sa famille et les autres adultes autour de lui, moi y comprise, ne l’avaient pas fait. Il cherchait seulement à être entouré de ses proches pour se sentir comme le gagnant encore une fois.
Mon temps à l’Hôpital Trousseau m’a appris que les enfants, mêmes gravement malades, ne s’attardent pas sur la tristesse et le désespoir comme les adultes le font parfois. Au contraire ils ne cherchent toujours que la normalité et la joie des petites choses de la vie. C’est ce qui les amène à être sages et heureux même quand les adultes ne le sont pas. Ce n’est pas pour dire qu’ils ne sont jamais tristes ou bouleversés par leurs situations, mais que l’espoir arrive toujours à gagner. Donc, si vous cherchez l’espoir entre les murs d’un hôpital ; trouvez-le chez les patients les plus petits !