Lors de mon arrivée à Paris, je me suis retrouvée dans le 13e arrondissement, au cœur du quartier chinois. Depuis, j’ai du mal à comprendre ce qui constitue exactement mon identité culturelle.
Aux États-Unis, j’ai constaté qu’une grande partie de mon identité culturelle était influencée par mon environnement ; lorsque je suis à Cornell et lorsque je suis chez moi en Californie, je suis complètement différente. Mes valeurs, mes intérêts, ma personnalité, tout change en fonction de l’environnement dans lequel je me trouve. C’est pourquoi je pense que mon identité culturelle peut être comparée à un stylo quatre couleurs ; je suis un mélange d’identités et parfois mes identités s’affrontent (comme quand j’essaie de dessiner avec deux couleurs en même temps, mais que je finis par bloquer le stylo).
Depuis que je suis en France, je suis troublée par une société et une culture complètement différentes de ce que je connais aux États-Unis.
J’ai le sentiment d’être perdue.
Ici, j’essaie de mettre en avant d’autres traits de ma personnalité comme mon côté aventureux qui aime la nature, mais qui reste toujours réfléchi. J’observe beaucoup la société française et ce qui me préoccupe le plus, c’est que je commence à douter à la fois de mon identité américaine et de mon identité chinoise. Après avoir quitté la Californie, je me suis rendue compte que mon style de vie était très asiatique, tout en ayant des valeurs et des croyances américaines. Je voyais mon identité chinoise et mon identité américaine comme un croisement, une sorte d’intersection.
Mais, en France, les autres me voient soit comme une Asiatique, soit comme une Américaine, jamais comme un mélange des deux. Pendant le premier mois de mon séjour, j’ai rencontré des personnes ignorantes dont les propos étaient quelque peu offensifs voire racistes : « mais d’où viens-tu vraiment ? » et « tu peux comprendre pourquoi je ne pensais pas que tu parlais anglais, non ? ». Ma culture chinoise est celle qui domine mon style de vie et la façon dont je me comporte. Cette identité a pris plus de place depuis mon arrivée à Paris, où tous mes questionnements tournent autour de mon intégration à la culture française.
Au lieu de se mélanger à mon identité sino-américaine, la culture française s’oppose à ce que je connais déjà. C’est comme si je ne pouvais dessiner qu’avec une seule couleur lorsque j’utilise mon stylo ; je ne peux afficher qu’une seule identité. L’identité que j’adopte devient alors excessive, presque stéréotypée. Dans ma famille d’accueil, je fais la vaisselle à la main (dans la culture chinoise, le lave-vaisselle n’est qu’un « étendoir »), je fais la lessive à la main de temps en temps, et j’ai conscience de mon utilisation de l’eau et de l’énergie. Mais j’ai aussi constaté que lorsque je suis avec mes amis américains à Paris, ma personnalité devient automatiquement plus américaine ; je fais le choix de contenir mon identité asiatique car ce n’est pas une identité à laquelle mes amis peuvent s’identifier. Aux yeux d’inconnus, je ne ressemble qu’à une asiatique et lorsque je leur explique que je viens des États-Unis, j’ai l’impression qu’ils m’identifient à tous les stéréotypes américains.
J’ai du mal à trouver un équilibre entre mes deux identités, et c’est un problème qui ne me préoccupait jamais aux États-Unis.
La façon dont les autres me voient devient un nouvel angle sous lequel je me vois également.
J’ai donc essayé de trouver du réconfort auprès des sino-français que j’ai rencontrés ici.
Aux États-Unis, l’identité sino-américaine est bien définie parce que malgré les différences culturelles (par exemple, la Côte Est opposée à la Côte Ouest, ou même la Californie du Nord et la Californie de sud), nous, les asiatiques, avons beaucoup de similarités avec le style de vie des Américains ; nous avons les mêmes vécus, les souvenirs d’enfance et la torture que représentait les cours de chinois, les leçons de piano, la nourriture, les jeux vidéo etc... Ces similarités sont traitées dans un groupe de Facebook qui s’appelle « Subtle Asian Traits », où les personnes sino-américaines, sino-canadiennes, et sino-australiennes partagent des mèmes qui se moquent de notre mode de vie asiatique. Par contre, on peut noter un manque de franco-asiatiques (et des sino-européens, en général) ; c’est un phénomène qui reflète le manque d’identité asiatique en France (de plus, il est intéressant de souligner qu’il existe une traduction pour le terme « Asian-American » mais pas pour « Asian-French » sur le site de traduction WordReference).
Quand je rencontre un franco-asiatique, je ne ressens pas de connexion immédiate avec cette personne, ni la compréhension mutuelle que je ressens d’habitude quand je me retrouve avec des minorités asiatiques aux États-Unis, et je ne crois pas que les franco-asiatiques y fassent attention.
Une autre chose que j’ai pu observer à Paris, c’est l’immense diversité ; il y a beaucoup d’ethnies différentes représentées et tous semblent bien intégrées à la culture parisienne.
Je vois rarement les groupes de personnes de la même couleur, et les groupes d’amis interraciaux sont assez courant. Je trouve que c’est merveilleux, mais j’ai quand même l’impression que l’identité parisienne est celle qui ressort le plus.Une différence très prononcée entre les États-Unis et la France est qu’aux États-Unis par exemple, les gens sont fiers de célébrer leur diversité, c’est ce qu’ils appellent le « melting pot » tandis que la France a plus tendance à célébrer son riche passé historique et culturel. J’avais d’ailleurs l’impression que c’était la clé pour saisir la culture française, mais cette idée m’a aussi isolée. Le fait de rencontrer des asiatiques qui me ressemblent tout en étant très différent de moi culturellement, a beaucoup contribué à ce sentiment de solitude ; j’essaie de construire ma propre identité, composée à la fois de ma culture chinoise, américaine et maintenant un peu française et il n’y a personne à qui je puisse m’identifier.
Je souhaiterais également évoquer mes craintes et mes angoisses dans ce processus d’intégration à la culture française (et je ne veux évidemment offenser personne). Dans les premières semaines qui ont suivies mon arrivée, j’avais l’impression de « m’aventurer sur un terrain glissant » et chaque interaction en français était très éprouvante pour moi.Toute ma vie, mon équilibre entre mes deux cultures m’a structuré, et je comprends désormais ce que signifie le fait de grandir avec une culture, contrairement à devoir s’intégrer à une culture ; cela remet beaucoup de choses en question.
Je comprends que le but de mon expérience en tant qu’étudiante en échange à Paris n’est pas de devenir une « femme française » ; je suis sino-américaine, et j’aurai beau faire tous les efforts possibles pour m’intégrer, je ne serai jamais française. J’ai grandi en parlant deux langues différentes, j’ai du mal à prononcer certains mots en français, et je ne pense pas avoir un accent français parfait après seulement six mois ici, mais ce n’est pas grave. Je suis ici pour apprendre la culture française, et à travers cette expérience, je gagne en confiance et j’arrive à accepter mon identité sino-américaine.