Paris présente tous les jours une opportunité de regarder une espèce unique d’humains : le/la Parisien(ne). Tout le monde dans cette ville brûle d’envie de mourir ou de vivre à l’extrême. Il y a soit une acceptation complète de la mortalité des êtres humains, soit une rejection complète de cette même chose. Cela se voit dans leur comportement et leurs interactions, bien que ce soit difficile à première vue. Les mourants montrent une pulsion pathologique vers la mort. Ils traversent les rues sans regarder les voitures, sans tenir compte des concitoyens qui foncent quelques centimètres les uns des autres dans des petites boîtes agiles, les cyclistes parmi eux ignorant toute règle qui cherche à régir le comportement routier. Même chose pour les vivants. Ils font du vélo dangereusement, se promènent dangereusement, conduisent des voitures dangereusement de la même manière que les mourants. La différence, c’est qu’un groupe cherche la mort alors que l’autre se moque de son existence. Il y a une jouissance à frôler de manière téméraire celle en qui ils ne croient pas. La porte du métro se ferme sur leur bras, mais quand ils sont libérés, au lieu d’un visage tourmenté comme un tableau de Goya, ils sourient d’un air suffisant, comme si la Mort avait déjà essayé ça avant et qu’elle arrivait à court d’idées. Les vivants se promènent avec leur compagnon ; ils s’embrassent dans la rue intimement, passionnément, comme s’il n’y avait personne autour d’eux, et comme s’il n’y avait pas d’odeur d’urine dans l’air. Ils parlent avec animation dans le métro, en agitant les mains à proximité des voitures sans tenir compte des autres. Les mourants s’assoient devant des cafés et regardent par paires les autres mortels qui passent devant en courant. Parfois, ils se penchent l’un vers l’autre et échangent des mots étouffés, mais ils ne disent rien. Quand les vivants s’assoient devant des cafés, ils prennent la même position, pourtant ils ne s’occupent pas de la circulation de la même façon. Les deux types font face aux masses tourbillonnantes, mais ils s’isolent.
La pulsion de mort et son contraire à Paris ne sont pas les mêmes que celles aux Etats-Unis. La pulsion américaine est telle qu’on travaille jusqu’à la mort, on mange jusqu’à la mort, on boit, se défonce ou fait l’expérience du plaisir, du succès et de la richesse jusqu’à la mort, ou bien de faire une de ces choses sine die et sans conséquence mortelle. C’est une version impure de l’homologue parisien parce qu’il y a toujours un but immédiat. Mort et immortalité ne sont atteintes que grâce à l'effort, mais à Paris, elles sont tout simplement atteintes au cours de la vie. On rencontre la fin ou son besoin dans la rue comme un ami d’enfance, contre toute probabilité, là au centre d’un monde énormément indifférent. Aux Etats-Unis, la fin se vend dans un hypermarché avec une vitrine brillante et blanche ou dans la pièce à l’arrière d’un bar qui s’écroule. Je ne sais pas laquelle est la meilleure : la pulsion vers la finalité qui est pure, organique, et spontanée, ou celle qui est valorisée et ciblée, mais j’apprécie la chance que j’ai de faire l’expérience des deux.